_________ _ _ _______________ ___________ _______ MindKind10 __ _ __ __/ / | / / | Angoisse, by tigerbalm / 10.16 / ' aka: quand le sommeil va tout va . ----- / \_ _______ ______ _____ __ __ ___________ _______________/ ' /________/ Angoisse d�un insomniaque Depuis plusieurs semaines, je n�arrive plus � m�endormir. Je m��tends, en silence sur le lit, dans un noir complet. Mes paupi�res se ferment. Les images se bousculent, les id�es �galement. Mais le sommeil, lui, ne se pr�sente point. Il me laisse p�trir insidieusement, seul, au milieu d�une chambre vide. J�attends d��tre transport�, berc�, nourri de ces histoires qu�ils me racontaient. Elles ne viennent jamais. Le temps passe, l�angoisse s�intensifie. Au bout d�un certain temps je m�impatiente. M�a-t-il oubli�? Viendra-t-il demain? Puis, je me l�ve et la journ�e� la soir�e continue. Il fait noir. Le noir d�une nuit tardive. Je d�c�le m�me une pointe d�aurore, derri�re cette montagne qui abrite la m�tropole. Je n�arrive point � m�y faire: attendre les premiers rayons. Ceux qui r�chaufferont mon visage, illumineront mon regard. Ces photons, tant�t ondulant tant�t corpusculant, bombarderont v�h�ment la noirceur: l�encre onctueuse, la tache immense, le drap napp� recouvrant cette lumi�re. � bien y r�fl�chir, pourquoi perdre son temps sur un matelas insipide? Le monde entier reste � d�couvrir. Il y a tant de pays � visiter. Tant de sciences � apprendre. Tant de myst�res � �lucider. Tant de maisons � construire. Tant de pauvres � nourrir. Tant d�enfants � �duquer. Tant de femmes � s�duire. Temps nous manque. Mieux vaut ne pas le perdre � roucouler le chant serein d�une respiration lente et rythm�e. � feutrer les r�ves buttoir de la r�alit�. � r�gler le chrono sur les autres, sur les embouteillages, sur les files d�attente, les boites vocales, les rendez-vous, j�en passe. On se r�veille trop tard: apr�s la jeunesse, les amours, les passions. Je vais l�inventer la g�lule de l�insomniaque: de mon savoir de chimiste et mon ambition de chercheur. Pr�server l��tre de la perte, recycler ses heures somnolentes. Un peu de ceci, un peu de cela; la solution � reflux et voil�! Le m�lange originel, l��lixir d�une vie plus longue, plus sophistiqu�e, plus b�c�b�g�, moins oisive. Mais ce soir, je suis las d��tre seul. La solitude m�exasp�re. J�ai envie d�une conversation avec une femme magnifique. Avec une femme poss�dant la gr�ce comme il en existe tant. Toujours tant. Je hais ce mot. Il me hante par son extr�misme, par son inexorable destin, par cette grandeur intarissable, insaisissable. Je dois m�y faire. Me faire � cette soci�t� de consommation, � cette recherche de la perfection, � cette lutte quotidienne dans l�ar�ne humaine, � cette ataraxie illusoire d�une insatiabilit� incomprise. Apr�s tout, la vie c�est peut-�tre ne jamais avoir ce que l�ont veut. Et s�il fallait toujours conqu�rir et reconqu�rir sans arr�ter sa qu�te d�une conqu�te? � vingt ans, je croyais pouvoir changer le monde. Rien ne pouvait alt�rer cette �pop�e fantastique dans laquelle je plongeais � plein r�gime. La limite de l�horizon compl�tement an�antie devant la splendeur de l�avenir. La lumi�re du g�nie m�aveuglait. Je pensais �tre diff�rent. Je pensais avoir quelque chose de plus. Mais aujourd�hui tout s��croule. Je r�alise que j�ai eu tord. �a m�a frapp�: un coup de fouet vicieux dans le dos, je m�en rel�ve � peine. La plaie toujours ouverte expos�e impun�ment aux infections. Cette lutte n�est nul autre qu�une d�faite. Il n�existe point d�autre but que de survivre, survivre � la mort. Terroris�. Je n'ai que vingt cinq ans mais j'ai peur, peur de cette fin tragique, de cette tragi-com�die. Pourquoi est-ce si comique? Parce qu�on conna�t son destin. Malgr� tout on avance, jour apr�s jour, nuit apr�s nuit, sur le chemin fun�bre. On n'y pense point. Parce qu�on s'enferme dans la r�alit�, comme des b�te, comme nos anc�tres. N'est-ce pas si triste tout cela? J'en pleure. Je pleure tous ces moments perdus, perdus � ne point sentir la vie. � m'�tre lev� puis couch� sans �prouver la moindre �motion. Les jours o� je n�ai pas ressenti les quelques cent milles battements de mon c�ur. Les jours o� je n�ai pas pris part � la vie qui s�est �teinte ou � celle qui s�est �veill�e. O� je n�ai pas �t� dans les yeux de mes parents et amis en vivant toutes leurs souffrances, toutes leurs jouissances. Les jours o� je n�ai pas connu l�amour, o� ces femmes sublimes sont apparues dans ma vie et je les ai laiss� partir - sans agir. Les jours o� je n�ai pas particip� � la guerre, ni prit conscience des trag�dies qui se sont r�v�l�es un peu partout sur la Terre. Les jours o� je n�ai point d�fi� la mort. Pour tous ces instants, pour tous ces sentiments qui ne m�animeront pas. N�est-ce pas tragique tous ces moments �vanouis? Vivre son dernier jour, chaque jour. Lorsque le souffle nous manque, les sentiments simples de notre existence complexe ressurgissent innocemment - l�amour, l�amiti�, la g�n�rosit�. Ils deviennent si limpides qu�on se demande comment avons-nous fait pour ignorer l�essentiel? Et pr�cis�ment l�, � cet instant � i �, la vie vaut son pesant d�or. On donnerait tout pour quelques secondes de plus, pour se faire pardonner aupr�s des autres notre insouciance, nos priorit�s mal choisies, notre jalousie. On regrettera l�orgueil absurde et la froideur frigorifiante envers nos proches. Ou encore les gestes de gratitude que l�on n�a pas commis pour pr�server notre image. Aimer c�est exactement cela: perdre le contr�le, d�laisser les r�nes. Un �quilibre pr�caire, enti�rement vuln�rable, sans aucune protection contre l�impr�vu. Une aventure dont on ne conna�t que le d�but. On revit, on rena�t: le flux sanguin devient palpable dans nos veines. Ce bouillonnement et ces palpitations dans l�estomac sont issus principalement de cette crainte. Mais h�las, la passion s�estompe rapidement. On en exige toujours trop. On exige ce que personne ne peut donner. Et puis on se fait vieux, les os craquent et se frottent sous chacun de nos �lans. Plus on se sent vieux, plus on vieillit, plus on pourrit: la trilogie de la spirale descendante. Et on se demande o� sont pass� les ann�es? Mais o� sont-elles pass�s? Tout d�boule: les jours, les semaines, les mois. On se r�veille une nuit, comme celle-ci, et d�j� cinq ann�es se sont �coul�es si ce n�est pas plus� � quand mon prochain r�veil? Lorsque j�aurai trente ans? Lorsque mes enfants iront � l��cole? Ou encore� sur le lit des d�pouilles, dans le cong�lateur de la morgue? Malgr� que l'on sache tout cela, on continue de vivre l'in�branlable quotidien, l�inint�ressante routine. C'est pour cette raison que la mort est en soi une tragi-com�die. On peut bien en rire, rire de nous bien s�r. Heureusement, des instants restent � vivre! Oui, la vie est un instant. Des petits instants racol�s, rabout�s, rapi�c�s. On en vit un pr�sentement. Des secondes pr�cieuses, pleines d�importance, � la rencontre de notre destin�e. Ces courts intervalles que l�on sait unique, remplis d�un myst�re insondable, devant le regard d�un autre, d�une autre. Il ne faut pas oublier toute cette m�ditation durant nos d�cisions. Le sommeil, malicieux, complice de nos oublies. De cette lassitude incoh�rente na�t une insouciance menott�e � des principes dont les raisons nous �chappent: nous sommes bien li� � notre triste sort. Maintenant que j'ai pleur�, j'ai mal. Mes yeux souffrent. Mon coeur br�le. Mes mains tremblent. Je suis d�sormais avide de vivre. Mon esprit transcende la lucidit�. Mais je vous l'ai dit, il me reste � dormir. Et demain tout ceci sombrera dans l'oublie. Mon esprit endormi m'emp�chera de raturer l�insipide, le laid, le fade et le superficiel de tous les jours. Il m�emp�chera de prendre les d�cisions d�stabilisantes: celles qui pourront bouleverser mes valeurs, celles qui chambarderont ma stabilit� �motionnelle. Je vais me rappeler mes engagements, mes responsabilit�s, mes habitudes, mon mauvais caract�re, mon manque de confiance. Il n'y a rien � faire. L'engrenage fatal, bien huil�, tourbillonne machinalement vers l�in�luctable fin. Bonne nuit.